À Monsieur Attal
Laïcité et Education : Emmanuel Macron a-t-il saisi le sens de l’histoire ? Masse de contradictions ou songe d’une fin d’été hivernale ? Non mais qui commande Jules* ?
L’interdiction de l’abaya à l’école par Gabriel Attal, mode de non-emploi. Le ministre de l’Education fait savoir que la robe longue traditionnelle du Moyen-Orient serait bannie. Une annonce floue qui fait surtout du bruit. Qui reste dirigeant de l’éducation nationale en France ?
1er rentrée à la tête du ministère de l’Education, à peine après sa nomination rue de Grenelle, Attal a frappé fort, du moins médiatiquement. Il a annoncé l’interdiction de l’abaya dans les établissements scolaires. Vous ne devez pas être capable de déterminer la religion d’un élève en rentrant dans une classe. Une robe longue traditionnelle au Moyen-Orient fait donc, partie des coups de boutoir, attaques, tentatives de déstabilisation qui mettent à l’épreuve la fermeté de la réponse de l’école Attal l’avait dit lors de son laïus face aux recteurs.
Le CFCM ajoute que dans la tradition musulmane, que nous défendons, un vêtement quel qu’il soit n’est pas un signe religieux en soi. Il suffit de parcourir les pays à majorité musulmane pour se rendre compte que les citoyens de ces pays, de toutes confessions, ne sont pas distinguables par les vêtements qu’ils portent. Il marque sa lassitude face à un énième débat sur l’islam et les musulmans avec son lot de stigmatisations. Il n’y a eu que des cas très rares de non-respect la loi de 2004 qui interdit le port ostensible de signes religieux en établissements scolaires depuis sa mise en vigueur. Il a, à ce propos, rappelé aux jeunes que leur religiosité n’est pas un produit ou un objet de publicité, ni un étendard ou un slogan de manifestations.
Loi du 15 mars 2004 sur la laïcité est claire ou pas ? : Dans les écoles, les collèges, les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit. Dont le port conduit à se faire reconnaître appartenance religieuse tels que le voile islamique, quel que soit le nom qu’on lui donne, la kippa, une croix manifestement excessive. L’Elysée : cette annonce d’Attal se traduit en une sorte de kit méthodologique pour savoir comment réagir quand une élève vient à l’école dans cette tenue.
Les proviseurs auront un manuel qui leur dictera comment réagir si une élève se présente avec une abaya. Que risquera-t-elle ? Un avertissement ? Un renvoi au domicile pour changer de vêtement ? Une suspension si cela se reproduit ? Qui se chargera de faire appliquer la sanction ? Surtout, sur quelle base prendre une telle décision ? Cela n’est-il que le début d’un vaste dilemme ?
Dans les faits, faire la distinction entre une abaya et une simple robe longue
Concrètement, le ministre reste vague sur la façon de faire appliquer cette annonce tonitruante. Pas de date d’entrée en vigueur, pas de détail précis. Seule piste : il rencontrera dès la semaine prochaine les chefs d’établissements pour leur donner toutes les clés pour qu’ils puissent faire appliquer cette règle. Il s’agira donc d’une mesure au cas par cas, non inscrite dans une loi.
Laïcité : enseignement moral et civique, approche chronologique de l’histoire. Encore une fois, le Président lance la rentrée des classes avec des propositions en contradiction avec les réalités du terrain. Il temps d’associer les enseignants aux réformes ? Et si vous interrogiez les responsables et les parents ?
- Macron livre par le média de son choix, ses réflexions, ses intentions sur la situation de l’Ecole en général, sur celle de l’enseignement de l’histoire en priorité. Des phrases, on pourrait les résumer : il faut enseigner l’histoire de manière chronologique, renforcer la place de l’enseignement moral et civique dans le cursus scolaire, améliorer la formation en histoire et en EMC des enseignants. Les enseignants, quant à eux, ne manquent pas d’être surpris, agacés par ces propositions ; eux connaissent les réalités du terrain, auxquelles ils sont confrontés au quotidien. Rappel utile.
L’enseignement de l’histoire est, et a toujours été, chronologique. Les programmes des classes de lycée permettent aux élèves d’étudier toutes les grandes périodes historiques, de l’Antiquité à l’époque contemporaine. Ils travaillent, en classe sur l’Antiquité, le Moyen Age et la période moderne. En classe de 1ère, sur un long XIXe siècle qui débute, de manière très classique, avec la Révolution française puis termine avec la 1ére Guerre mondiale. En terminale, sur le XXe siècle. Faut-il préciser que les programmes de collège sont conçus d’une manière assez analogue, en fonction d’une approche chronologique ? L’enseignement de l’histoire ne saurait se réduire à la mise en place d’un cadre chronologique, par ailleurs indispensable au raisonnement : il est fondé sur l’exploitation des sources de l’historien en fonction d’une approche critiquen car la discipline historique, qui est une véritable science humaine, repose sur une méthode rigoureuse et impose une distance par rapport à l’objet étudié. Cet apprentissage de l’esprit critique a toujours constitué, depuis la IIIe République, l’un des fondements de la formation dispensée par l’école publique. L’histoire y a toujours beaucoup contribué, et elle continue de le faire. Les enseignants légitimement, en sont très fiers. * Sacré Ferry….
Moyens pour financer l’EMC ?
Place de l’EMC dans l’emploi du temps des élèves, au collège comme au lycée, est réduite à la portion congrue, trente minutes en moyenne par semaine. Il était prévu, à la rentrée, de passer à une heure par semaine dans les classes de collège. Cet horaire est-il à la hauteur de l’enjeu tel qu’il est présenté, à savoir « l’apprentissage des valeurs de la République ?». Le renforcer implique-t-elle une nouvelle augmentation de l’horaire ? Dans ce cas, avec quels moyens serait-elle financée ? S’agirait-il de « redéployer » des moyens existants, en réduisant du même coup l’horaire dévolu à l’enseignement de l’histoire et/ou de la géographie ? Ce ne serait pas très logique, convenons-en.
Améliorer la formation en histoire des enseignants. La réalité, depuis quelques années, est que la mise en place des masters Métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation, qui sont censés préparer les étudiants aux concours de recrutement du premier et du second degré, s’est traduite par une réduction de la part de formation purement disciplinaire. Capes d’histoire-géographie, qui permet de recruter les enseignants du second degré, il n’évalue, à l’oral, que la maîtrise de l’une des deux disciplines l’histoire ou la géographie, ce qui va à l’encontre de la bivalence de l’enseignement. S’agit-il de revenir sur ces modalités de formation et recrutement ?
Les enseignants sont recrutés à bac + 5, ce qui signifie que leur niveau de formation est élevé ; l’histoire-géographie est, jusqu’à maintenant, moins touchée que d’autres disciplines par la crise du recrutement, ce qui signifie que ces concours restent très sélectifs. Peut-on, dans ces conditions, postuler que le niveau de formation initiale des futurs enseignants serait insuffisant ? On peut tout à fait, en revanche, proposer de travailler sur leur formation continue en consacrant à cette dernière des crédits massifs, soit le contraire de ce qui a été fait depuis des années.
Face à l’inflation
Ne faudrait-il pas, pour une fois, associer les enseignants aux incessantes réformes qui rythment leur vie, leur travail à un rythme effréné ? Il est beaucoup question, depuis un certain temps, de revaloriser la place des enseignants dans la société. Cette revalorisation passe non seulement par une réelle augmentation salariale qui permettrait de compenser leur perte de pouvoir d’achat sur les trente dernières années, de faire face, comme leurs concitoyens, à l’inflation ; elle implique de consulter les enseignants sur leurs conditions de travail, de tenir compte de leur expertise, la seule qui vaille, celle des classes, et non celle des cabinets ministériels.
Les professeurs d’histoire ne sont pas flattés de l’intérêt régulier que leur porte la classe politique. A tous les niveaux d’enseignement, du 1er degré à l’enseignement supérieur, ils aimeraient en 1er vivre dignement de leur métier, à la hauteur de leur niveau de qualification, exercer en sérénité et compter sur l’estime de leurs concitoyens. Sur ce point, l’exemple doit venir d’en haut.
L’interdiction de l’abaya paraît plus politique qu’autre chose en amont des débats acharnés sur le projet de loi immigration, un possible gage aux élus de droite sur le pied de guerre. Impossible que cette mesure phare d’un très proche de Macron, si sensible, n’ait pas reçu l’imprimatur jupitérien. D’autant que l’autre annonce de la rentrée, le retour des épreuves de spécialité du bac en juin, a tranchée directement à l’Elysée lors d’une réunion dédiée. Ajustements calendrier conformes aux souhaits exprimés par M. Macron le Président semblant avoir fait de l’éducation un nouveau pré carré présidentiel. Pouvant en user à sa guise et à son intérêt. La France insoumise, M. Bompard, annonce que son parti saisit le Conseil d’État pour attaquer la décision « cruelle » du ministre de l’éducation nationale d’interdire le port de l’abaya dans les établissements scolaires. Luttes intestines à très gros risques ? Êtes-vous fous ou extrémistes ?
Le Panda
Patrick Juan
L'Interdiction de l’abaya : la laïcité mérite mieux qu’une proclamation politicienne.
En interdisant cette tenue traditionnelle féminine dans le cadre scolaire,
Gabriel Attal envoie surtout un signal à une partie de l’opinion obsédée par la question de l’islam.
Pas la meilleure manière de renforcer le principe républicain de laïcité.
Tenue féménine traditionelle, mais un contexte particulier, cela ne le perdons pas de vue, c'est plus qu'une évédence.
Sur le port de l’abaya par des élèves dans le cadre scolaire, il est assez légitime que le ministre de l’Education nationale ait répondu à la demande de clarté formulée par les chefs d'établissements, en première ligne sur ce sujet comme sur beaucoup d’autres.
Mais au regard des urgences majeures auxquelles notre système éducatif fait face, en matière de recrutement des enseignants comme de niveau global des élèves ou de harcèlement, il est en même temps disproportionné et au fond assez révélateur que ce sujet aussi complexe que symbolique occupe à ce point le devant de la scène en cette rentrée.
S’il s’agissait d’être provocateur, on soulignerait volontiers que, pour une fois, le burkini n’avait pas fait de buzz cet été.
Une évidence à faire remarquer il subsiste une réalité peut-être que les instigateurs étaient en vacances ailleurs.
Par la pédagogie et le dialogue
Si ce n’est pas pure stratégie politique mais pour répondre à une opinion publique largement hystérisée par la question,
Gabriel Attal avait-il besoin de faire de cette annonce l’un des piliers de sa première grande conférence de presse ?
D’autant qu’au-delà de la proclamation du ministre – saluée par la droite, l’extrême droite et une partie de la gauche que cette question divise l’interdiction de ce vêtement, qui n’est pas à proprement parler religieux mais qui enjambe çà et là la frontière entre le culturel et le cultuel, pose bien question sur le plan juridique .
Mais pour Emmanuel Macron, l’essentiel était d’envoyer un signal qu’il juge fructueux, renvoyant aux oubliettes la prudence d’un Pap Ndiaye qui n’était pourtant pas un fossoyeur de la laïcité.
On ne le dira jamais assez, la laïcité reste bien sûr une valeur cardinale (et singulière) de notre République. Mais s’il faut la défendre chaque fois qu’elle est remise en cause, l’adhésion qu’elle doit susciter dans la société ne se décrète pas, elle se construit.
Elle ne doit pas être, et même pas apparaître comme une religion d’Etat qui vise toujours les mêmes.
Pour le dire autrement, elle ne doit pas servir de cache-sexe à une islamophobie croissante.
A fortiori dans l’esprit des plus jeunes de nos concitoyens qui, musulmans ou pas, ont à son égard un rapport plus souple que leurs aînés.
C’est par la pédagogie et le dialogue dès le plus jeune âge qu’on reconstruira du commun autour de valeurs républicaines dont nos responsables politiques se gargarisent à l’envie, sans œuvrer suffisamment pour les rendre concrètes au quotidien dans la vie des Français.
Alors que la liberté, l’égalité et la fraternité ont dans bien des domaines du plomb dans l’aile, la laïcité comme un socle au service du plus grand nombre est de plus en plus difficile à «vendre».
Il faut le regretter, mais surtout pas le nier, sauf à ne s’en servir que comme d’un totem.
Pas changer grand-chose.
Il n’est pas souhaitable, et le Conseil d’Etat l’a rappelé, qu’on puisse identifier par le port d’un signe distinctif la religion de tel ou tel élève dans le cadre scolaire.
Mais concrètement, alors que le cadre légal reste celui de la loi de 2004 interdisant le port du voile puis de ses substituts, les mots d’Attal ne vont pas changer grand-chose pour les proviseurs.
Ils pourront certes, et ils le demandaient, s’appuyer sur la parole de leur ministre pour justifier telle ou telle décision, mais l’appréciation de la dimension religieuse d’une tenue restera à leur discrétion et donnera toujours potentiellement lieu à des recours devant les tribunaux.
Avec le risque pour l’Etat de voir sa décision fragilisée par l’application du droit.
Le tout, sans que l’adhésion au principe de laïcité ait progressé chez ceux pour qui ce n’est pas une évidence.
Ce devrait pourtant être l’objectif.
Cela ne doit pas conduire à accepter des reculs, mais cela nécessite de prendre un peu de recul.