14 juillet 2023 : Feux et Flammes
14 juillet 2023 : Feux et Flammes
Depuis sa première élection en 2017, Emmanuel Macron ne vit que très rarement des étés apaisés. Après la démission du général de Villiers, l’affaire Alexandre Benalla, les homards de François de Rugy ou, plus récemment, les révélations autour des UberFiles, le président de la République se retrouve confronté à une crise autrement complexe. Trop c’est trop, le respect de notre République.
La mort du jeune Nahel, tué par un policier à Nanterre, et les émeutes qu’elles ont entraînées ont sidéré le pays et fait partir en fumée ses derniers espoirs « d’apaisement ». Emmanuel Macron espérait cheminer jusqu’au 14 juillet, date butoir de ses 100 jours, pour enclencher une nouvelle phase de son quinquennat. Raté, le voilà à chercher des réponses à une énième crise, sous le regard défiant des Français. Le droit du sol doit cesser, en remontant le temps depuis 50 ans l’immigration et l’intégration de diverses générations pourrissent les valeurs de la France. Les partis au pouvoir et le R.N. détruisent globalement le sens de la majorité des responsivités familiales.
Dans l’opinion, les voyants sont effectivement au rouge après cette semaine d’émeutes. Selon un sondage mené par YouGov pour Le HuffPost, lundi 3 et mardi 4 juillet, au lendemain des nuits les plus violentes, les Français jugent sévèrement l’action du président de la République pendant les exactions et doutent vivement de sa capacité à trouver la parade.
Victime de l’effet de blast
79 % des sondés estiment que le chef de l’État « n’est pas à la hauteur » de cette crise. Sans surprise, les électeurs du RN (97 %) et de la NUPES (78 %) sont les plus rudes à son égard. Il est en revanche plus significatif encore d’observer que cette défiance gagne les sympathisants de son propre camp qui sont, d’ordinaire, de solides soutiens de l’action de l’exécutif. 51 % des Français proches des idées de la majorité présidentielle répondent par la négative quand on leur demande si Macron est à la hauteur. Le signe d’un effet de blast majeur ?
Force est de constater que l’embrasement des quartiers populaires, presque instantané et aux dimensions inédites, a laissé des traces dans la société. Macron, en visite à Marseille, jour de la mort de Nahel, puis au Conseil européen en fin de semaine, a pu donner l’impression d’être dépassé, par la tournure des événements.
Ni sa communication empathique après le drame du mineur à Nanterre, ni l’optimisme de son ministre de l’Intérieur qui affirmait que « l’ordre républicain » reviendrait le soir même, n’aura empêché les images de pillages d’occuper la Une des médias nationaux et internationaux de longs jours durant. Ceci, jusqu’à l’attaque du domicile personnel du maire de L’Hay-les-Roses.
Cet épisode de violences urbaines est venu percuter le récit que le chef de l’État essayait de mettre en musique pour sortir d’une précédente crise, celle de la réforme des retraites. Le report de la visite d’État en Allemagne, la première pour un président français en 20 ans, parfait reflet.
Mort de Nahel : « Il faut tout cramer pour qu’on parle de nous, c’est normal ça ?»
De Nanterre à Montreuil, à Strasbourg, « Chacun » a cherché à comprendre qui sont les émeutiers. Unis par leur détestation de la police, ils affichent des profils et des motivations variés, sentiment d’abandon, avenir bouché, effet accélérateur des réseaux sociaux. Youssef et Estéban, bob et casquette sur la tête, scrutent les allers-retours des camions de remorquage. Les carcasses de voitures calcinées sont encore nombreuses sur l’avenue Pablo-Picasso, à Nanterre. Les jeunes de 17 ans reparlent des brasiers des nuits dernières. « C’est chaud ce qui s’est passé est mérité. « Il faudrait carrément tout cramer chez eux, à Paris ! Là, on brûle nos voitures, ils s’en foutent de ça. »
Malgré leurs revendications, aucun n’a pris part aux violences, assurent-ils. « Ah non, nous on n’a rien fait, promis. Mais nos potes y étaient alors ils nous ont raconté ». Entre les immeubles bleus du quartier, la réaction est toujours la même. A croire que personne n’y était. « Désolé, je ne balancerai pas », sourit Ianis, 16 ans, clope au bec. Hakim, lui, reconnaît qu’il en était. Cet habitant de Malakoff a rejoint le mouvement de protestation. Mais en « spectateur », sans balancer quoi que ce soit, promet-il. Les mortiers d’artifice, c’est une affaire de « petits ». Du haut de ses 23 ans, il a plutôt enfilé le costume de financeur et logisticien. « Il faut 400 euros minimum par soir, il faut bien que quelqu’un les avance. Ce n’est pas un petit de 13-14 ans, qui ne travaille pas, qui va pouvoir faire ça, pointe-t-il. J’ai aussi distribué les feux d’artifice, pour qu’il y ait une bonne organisation. Ils sont jeunes, ils les prennent quatre par quatre. »
Les protestataires ne sont pas simples à appréhender. D’abord parce qu’ils ne courent pas après les journalistes, à qui ils reprochent de se pencher sur ce qu’ils ont à dire une fois que tout pète. Ensuite parce que leur mouvement est tellement protéiforme que dresser le portrait-robot de ses membres serait pour le moins hasardeux. Gérald Darmanin, indiquait que la moyenne d’âge des interpellées était de 17 ans, qu’il s’agissait parfois d’« enfants, de 12-13 ans, qui étaient des pyromanes ou qui ont attaqué les forces de l’ordre ou qui ont attaqué des élus». Autour de 60 % étaient inconnus des services de police.
« Ils cherchent à reprendre le contrôle sur les choses »
Quid de l’ensemble, de tous ces groupes qui se sont formés à Marseille, Saint-Pierre-des-Corps ou Roubaix, de tous ceux qui n’ont pas atterri au poste ? « On a des informations assez parcellaires par rapport à celles qui participent », souligne Antoine Jardin, ingénieur de recherche CNRS au Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (Cesdip). Ouarda, une mère bien implantée dans la ville de Montreuil, a, elle, constaté une différence de comportement selon les âges, en allant à leur rencontre lors de la deuxième nuit de révolte. « Beaucoup de 12-13 ans étaient enflammés, ils disaient : “Et alors, qu’est-ce qu’ils vont me faire ? Je suis dans ma cité, j’ai le droit de rester dehors.” Les 15-16-17 ans, on les connaît un peu, ils nous écoutaient. Et les autres arrivaient derrière et disaient : “Ecoutez-les pas, moi la police je les en****.” »
Mais « on ne voit que quelques terrains, on n’a pas une vision d’ensemble, poursuit Antoine Jardin. Il y a des affrontements avec la police, des atteintes au mobilier urbain, aux établissements publics, des violences directes aux personnes… Ça veut dire qu’il y a sans doute une différence de profils. Quelqu’un qui vole une paire de baskets à Châtelet-les-Halles, ce n’est pas le même comportement que quelqu’un qui jette un cocktail Molotov sur une mairie. »
Thierno Diallo, coordinateur de l’association Capables, à Montreuil, le constate : « Il y a ceux qui sont sur une solidarité avec Nahel, qui peuvent en parler avec une voix tremblante parce qu’ils l’ont pris comme si leur cousin ou leur frère avait été touché, et ceux qui sont habités par une frustration profonde due aux difficultés qu’ils ont à trouver leur place dans cette société. » Mais quel que soit le moteur, « ils cherchent à reprendre le contrôle sur les choses. A force de se sentir écrasés, il y a cette espèce de rebond où ils se disent : « C’est nous qui avons le pouvoir” »
Un élément cristallise la colère : la police. « A la base, le mouvement part de “justice pour Nahel”. Puis ça se transforme en justice pour nous, justice pour le quartier. On se fait justice nous-mêmes. Les policiers nous parlent mal, ça ne date pas d’hier. Les “ta gueule” gratuits… Rien qu’hier, je me suis fait contrôler trois fois en une après-midi ! Trois fois !» tonne un garçon de 17 ans croisé dans le quartier de Cronenbourg, à Strasbourg (Bas-Rhin), qui a participé aux violences dans la ville.
« Madame, je n’ai pas d’avenir »
« L’ennemi, c’est le système et la première marche du système, c’est la police. C’est eux la cible », tranche Hakim, le « financeur » de Malakoff. Lui restera « marqué toute sa vie » par une rencontre avec des agents : « J’avais un joint sur moi, pas de souci, je le reconnais, j’étais en tort. Mais au lieu de te mettre l’amende ou de t’emmener au commissariat, ils préfèrent t’humilier. Ils m’ont dit : Si tu ne ramasses pas les mégots qui sont par terre autour de nous, on va amender tous tes copains. Ils veulent toujours imposer ce rapport de force avec nous. Si quelqu’un a eu une fouille à nu au commissariat, quand ils reviennent, ils disent que tu as un tout petit sexe. »
« Normalement, la police doit nous sécuriser. Qui nous protège de la police ? Il y a une inégalité incroyable entre les jeunes de banlieue et de Paris, juste parce qu’on est arabes ou noirs », peste un président d’association en Seine-Saint-Denis. Le fait que la cagnotte destinée à la famille du policier qui a tué Nahel ait dépassé le million d’euros ne concourt pas à l’apaisement. « Ils disent que le filon pour avoir de l’argent, c’est d’être policier, tuer un rebeu ou un renoi et attendre sa cagnotte tranquillement ».
Les conditions dans lesquelles vivent les habitants de ces quartiers populaires sont un kérosène de la rage. Une banalité que de l’écrire. « C’est une colère depuis tout petit. Y’a pas d’avenir ici, n’y a rien. On n’a pas les bonnes écoles de Paris. On n’a pas les bonnes fréquentations non plus. Pourtant, on n’est pas loin de Paris. Pour sortir d’ici c’est chaud, il faut vraiment le vouloir », soupire Ousmane, qu’on croise à Nanterre avec sa mère. En se remémorant ses discussions avec les émeutiers des derniers jours, Ouarda raconte : « Ils disent : “Nous on n’aura jamais rien, mon père est balayeur, je n’ai pas envie de finir comme lui et de me lever à 5 heures du matin pour ramasser la merde des autres, c’est pour ça que je fais ça”. »
Un élève de Nassera Kasmi, professeure de lettres-histoire en lycée professionnel à Noisy-le-Sec (Seine-Saint-Denis), tardait à lui rendre sa « fiche avenir ». « Il m’a dit : “Madame, quelle fiche avenir ? Je n’ai pas d’avenir.” Il a 17 ans. C’est violent », déplore-t-elle. Certains de ses élèves font partie des protestataires. « Ce sont des gamins en échec scolaire, mal orientés. Quand tu parles avec eux d’engagement, de l’injustice dans la société, ils sont résignés. Mais ce genre d’événement les pousse à ressortir ce qu’ils accumulent de colère. Ils ne sont pas capables de le verbaliser ».
« Quand tu as 14-15 ans et que tu es pris là-dedans, il faut qu’un adulte reprenne la parole, mais pas de manière moralisatrice, plaide Caroline Renson, prof de lettres-histoire en lycée pro à Montreuil, convaincue que certains de ses élèves font partie des protestataires. En 2005, le lendemain, on avait les gamins en cours et alors jaillissait de l’émotion de ce qui s’était passé la veille. Ça les dépassait. » Achraf, un enseignant en collège dans une ville proche de l’Ile-de-France, a, lui, pu parler à ses élèves. « Ils nous connaissent, ils savent qu’ils peuvent se livrer sans être jugés. C’est l’une des grosses différences avec 2005, une partie d’entre eux ne veut plus aucun échange. L’un nous a dit : “Tout ce qui représente l’autorité, on n’en veut plus. L’éducation, la culture, la justice, on s’en bat les couilles.” »
Casser et brûler, l’unique moyen d’être entendu ?
Ce serait toutefois une erreur de limiter les violences actuelles à la traduction d’un discours construit. « Tout n’est pas toujours politique. D’ailleurs, la plupart s’en foutent ! C’est juste qu’ils s’ennuient », tempête Nadiah, mère de famille qui habite Aubervilliers (Seine-Saint-Denis). Hakim le reconnaît, derrière les violences, «il y a de l’adrénaline ». « Chacun se défoule et déverse un peu sa haine envers tout : envers les écoles qui ne les ont pas pris, envers l’alternance qui ne les a pas acceptés… C’est un tout qui a explosé », confie le jeune homme. D’autant que ces derniers jours, la cohue a été alimentée par l’effet de groupe. « Le fait qu’on soit tous ensemble, on se sent un peu comme si on était invincibles. Et en plus on a cette cause, ça nous donne l’impression d’être dans notre droit. »
Alors happés dans une sorte de spirale d’euphorie et de toute puissance, certains s’en sont pris à des petits commerçants et ont pillé de plus grandes enseignes. Des actes qui divisent. « Je comprends qu’ils soient en colère, et je la partage cette haine, reconnaît Ousmane, à Nanterre. Mais il ne faut pas tout confondre : ils sont allés chez Nike dans le centre de Paris, pour quoi faire ? Ils ont fait quoi Nike ?» Dans les rues de Montreuil la semaine dernière, quelques ados présents ont tenté d’expliquer à Ouarda que les violences récentes n’étaient pas toutes le fruit de la raison. « Un m’a dit : “Quand tu es parti, tu es parti. Mon cerveau ne savait plus ce qu’il faisait. Peut-être que si je n’étais pas entré dans cette euphorie, je n’aurais pas été avec toute la bande” », rapporte-t-elle.
Achraf, le prof, soupçonne des plus grands, responsables des réseaux de drogue, de tirer les ficelles derrière ces jeunes ados. « Ils les manipulent pour qu’ils fassent brûler tout ce qui représente les institutions. Ce qui, le reste du temps, leur fait de l’ombre. On a l’impression qu’ils en profitent pour faire passer des messages à ceux qui empêchent leur business. » Avec des discours du type : «Mets le feu là et je te filme, tu verras, tu feras le buzz sur les réseaux.»
Toujours est-il que, selon beaucoup d’entre eux, casser et brûler reste l’unique moyen d’être entendus. « Les seuls moments où on parle de nous dans le journal, c’est maintenant vous voyez, c’est fou, regrette Esteban, à Nanterre. Il faut tout cramer pour qu’on parle de nous, c’est normal ça ?» Pour eux, les mobilisations classiques ne suffisent plus. Quand en début d’année, les profs du lycée professionnel Théodore-Monod de Noisy-le-Sec se sont mis en grève, des élèves leur ont ri au nez. « Vous chantez comme des gogoles, ça ne sert à rien », a rétorqué un garçon à Nassera Kasmi. « Vous pensez qu’ils vont vous écouter en chantant et dansant ? Faut tout casser sinon on ne vous entendra pas !»
Depuis la semaine dernière, la comparaison avec les violences de 2005 s’est naturellement imposée. A une différence près : les réseaux sociaux. Sur Snapchat, TikTok, Instagram et même le réseau de communication Telegram, les images d’affrontements avec la police et de mobilier urbain en feu ont massivement été relayées. Les émeutiers eux-mêmes, ou ceux qui les accompagnaient, n’hésitant pas à entrer dans une sorte de surenchère, à qui ferait la vidéo la plus spectaculaire. Si on ne « peut pas tout imputer aux réseaux », prévient Marie-Joseph Bertini, professeure en sciences de l’information et de la communication à l’université Côte d’Azur, ils restent une caisse de résonance indéniable des violences. « Ils ont eu un double effet : un rôle d’émulation et une fonction organisationnelle. » Un constat partagé par le pouvoir, qui a sommé les plateformes de scruter, voire censurer, les contenus pouvant inciter à la violence.
Alors que l’accalmie s’est généralisée dans le pays ces derniers jours, un jeune Strasbourgeois fanfaronne : « Si les flics ne se calment pas, on aura de quoi répondre. On a encore de quoi tenir un mois, il nous reste encore 80 % du stock. » Les plus vieux préfèrent, eux, penser à ce qu’ils pourront tirer de tout ça. « L’idée, c’est de partir de ce sentiment fort, où on note un ras-le-bol, mais aussi de la solidarité et une espèce d’énergie, et de voir comment on peut l’utiliser pour rassembler les gens, transformer cette énergie en un discours construit, structuré », plaide Thierno Diallo. à Montreuil, une cellule de crise doit se réunir pour déterminer le rôle que chacun – parents, grands frères, associations, mairie – afin d’éviter de futurs embrasements.
Le Panda
Patrick Juan
Gérald Darmanin : les coulisses de son opération Matignon
Courtisant les grands patrons et multipliant les dîners conciliateurs tout en gardant un œil sur son fief nordiste, le clivant ministre de l’Intérieur mène une campagne intensive pour remplacer la Première ministre, Elisabeth Borne.
Cette soirée de la mi-juin dans les jardins du musée Rodin est si douce. La tourmente des émeutes est encore loin : un quatuor à cordes recouvre le tintement des coupes de champagne.
Le cabinet d’avocat BDGS Associés, présidé par Antoine Gosset-Grainville, a privatisé les lieux pour célébrer ses 10 ans. Le défilé des invités de cette figure influente du monde des affaires impressionne même les plus routiniers de ce genre de fêtes. Entre le Penseur et la Porte de l’Enfer se mêlent caciques du pouvoir, de la droite et patrons en veux-tu en voilà.
De l’ancien Premier ministre François Fillon à l’actuel ministre de l’Economie Bruno Le Maire, d’Arthur Sadoun (Publicis) à Julien Vaulpré (Taddeo) en passant par David Layani (Onepoint).
Mais l’un d’entre eux électrise l’atmosphère.
Perché sur le perron – «en majesté», se marre un convive – Gérald Darmanin est très courtisé.
Le ministre de l’Intérieur accueille comme s’il était l’hôte de la soirée.
Et en profite pour distribuer les invitations à tour de bras – «passe me voir», «il faut qu’on déjeune».
A ce niveau de responsabilités et d’ambition, réseauter, quoi de plus normal ?
Sauf qu’avec Darmanin, ce soir-là, personne n’est dupe.
A une centaine de mètres de là, dans cette rue de Varenne en forme d’artère coronaire du pouvoir, la Première ministre, Elisabeth Borne, sait son sort en suspens.
Emmanuel Macron ne fait plus mystère de son agacement à l’égard de la locataire de Matignon.
La mort du jeune Nahel, tué par un policier à Nanterre, le 27 juin, n’a pas encore embrasé des centaines de villes de France.
La persistante rumeur d’un remaniement a encore quelques jours devant elle.
Pour reprendre avec une vigueur renouvelée ces derniers jours, sitôt passé «le pic» de la crise, selon l’expression du chef de l’Etat.
Si Elisabeth Borne «saute», alors qui ? Avant les émeutes, Darmanin figure déjà très haut sur la liste des remplaçants putatifs.
Une fois le calme relatif revenu, le ministre de l’Intérieur s’estime renforcé.
Sa ligne à cheval entre «empathie» et «fermeté» ne lui a-t-elle pas évité d’être la cible principale de la colère ?
Juste après avoir découvert l’accablante vidéo de la scène au cours de laquelle Nahel succombe au tir d’un policier, le premier flic de France dénonce des «images choquantes» et appelle au calme.
«S’il n’avait pas eu ce discours, le bandeau BFM aurait été «Darmanin responsable de l’embrasement»», estime son cabinet.
Comme un air de soulagement, le sentiment d’avoir évité le pire pour lui.
Malgré les tensions, malgré la fracture profonde une énième fois révélée par cette révolte.
Malgré l’incapacité du pouvoir à expliquer les raisons de la colère.
«Je vais régler ton problème avec les LR»
Evidemment qu’il rêve d’ailleurs, de plus hautes sphères, après son ascension éclair.
Le pile quadra peut toujours jurer qu’il se verrait rester Place Beauvau jusqu’aux Jeux olympiques de 2024 à Paris et ses enjeux monumentaux en termes de sécurité, la vérité, c’est que la place de Premier ministre, il la veut.
A tel point qu’un visiteur qualifie sa campagne pour Matignon d’«hystérique».
«Ces dernières semaines, il a intensifié ses contacts avec le milieu des affaires.
Il se bat à mort, il va à tout, il voit tout le monde», affirme un ponte d’une firme du Cac 40.
Son credo : faire tomber les grands patrons dans son escarcelle.
Il y a ceux qui y sont déjà, souvent rencontrés lorsqu’il était ministre délégué aux Comptes publics entre 2017 et 2020, tel le patron de la Poste, Philippe Wahl.
Ceux, aussi, qu’il ne manque jamais une occasion de passer saluer, à l’instar du patron de LVMH, Bernard Arnault.
Puis les amis, comme Antoine Flamarion, à la tête du puissant fonds d’investissement Tikehau, ou l’homme d’affaires Pascal Houzelot.
Qu’il paraît loin, le temps où Gérald Darmanin pouvait claironner : «J’ai plus l’habitude d’avoir des échanges avec Robert le marchand de lapins sur le marché de Tourcoing [ville du Nord dont il est élu] qu’avec les PDG des grandes entreprises».
Mais celui qu’il faut convaincre, avant Robert le marchand de lapins, avant même les PDG des multinationales qui connaissent des profits records, c’est Emmanuel Macron.
Que ce soit pour ce coup-ci ou le suivant, au cas où le Président renoncerait à remanier cet été.
«Je vais te régler ton problème avec les LR», lui chante Darmanin, cette droite dont il est lui-même un transfuge et qui rechigne à s’allier avec la majorité.
Certains jours, il pousse le curseur plus loin : «Il faut être plus ferme sur le régalien, plus empathique sur le social et plus social sur les questions économiques.
Le gouvernement dans son ensemble pourrait être plus allant», souffle-t-il au locataire de l’Elysée.
Une critique à peine voilée à l’encontre d’Elisabeth Borne.
Entre la Première ministre et son ministre de l’Intérieur se joue un bras de fer en plusieurs rounds.
Réforme des retraites, loi immigration, dissolution du collectif écolo les Soulèvements de la Terre…
Un florilège de désaccords feutrés mais harassant.
Il faut s’intéresser à des petits détails, à des mots glissés sur un ton badin, à de supposées futilités pour prendre la mesure du rapport de force engagé.
«J’aime bien faire la bise à Borne, parce que je sais que ça l’emmerde», se marre ainsi Darmanin en privé, en référence à sa Première ministre peu portée sur les effusions, de notoriété publique.
La déstabilisation comme première arme.
Illustration symbolique : quand Matignon exige de relire toutes les interviews des membres du gouvernement, le conseiller en com de l’Intérieur, Matthieu Ellerbach, adresse les entretiens les plus politiques de son ministre au cabinet d’Elisabeth Borne avec ce simple objet : «Pour info.» Façon de verrouiller la porte à toute éventuelle retouche.
Hausse des crimes et gestion répressive.
«Darmanin, c’est un petit voyou», soupire, avec une pointe d’affection, un collaborateur d’Emmanuel Macron.
Un Nicolas Sarkozy, dont il fut le porte-parole lors de la campagne pour la présidence de l’UMP en 2014.
Intense et impulsif, brutal et sanguin : un as de la petite phrase explosive.
Bête politique de haut niveau pour les uns ; opportuniste, trop léger, manquant cruellement de fonds pour les autres.
L’histoire est connue, celle de ce natif de Valenciennes, petit-fils d’immigré algérien, fils d’un tenancier de bar et d’une femme de ménage, diplômé de Sciences-Po Lille, engagé au RPR puis à l’UMP avant de passer en macronie en 2017.
De cet héritage, Darmanin a construit un récit à la ligne floue, se dépeignant en héritier d’une droite sociale sur les questions économiques tout en devant composer avec l’image droitière qu’il s’est forgée à force de déclarations et de décisions tonitruantes – le militantisme vert qualifié «d’écoterrorisme», les rayons halal et casher dans les supermarchés qui le «choquent», les subventions de la Ligue des droits de l’homme qui «méritent d’être regardés» après le soutien de la LDH à la manifestation anti-bassines à Sainte-Soline.
«Quand j’entends le mot violences policières, personnellement, je m’étouffe», avait-il lâché après sa nomination au ministère de l’Intérieur en juillet 2020, créant le malaise en reprenant ici l’expression («j’étouffe !») de plusieurs victimes à l’agonie.
Et puis cette scène devenue fameuse, lorsqu’il assenait à Marine Le Pen sur un plateau télé qu’il la jugeait «un peu molle» sur les questions d’islam et d’immigration.
Le voilà érigé personnalité la plus clivante de la macronie.
«Une espèce de ministre du Rassemblement national à l’intérieur du gouvernement macroniste et rien d’autre», flingue le leader de La France insoumise Jean-Luc Mélenchon, lorsque la militante écologiste Claire Nouvian le qualifie de «Laval».
Son bilan mitigé Place Beauvau, où l’on constate une hausse de la quasi-totalité des crimes et délits en 2022 ?
Il le met sur le compte de «l’ensauvagement» de la société.
Pas de quoi justifier sa gestion répressive du maintien de l’ordre. Du piteux épisode du Stade de France en mai 2022 au matraquage des cortèges des grandes villes défilant contre la réforme des retraites, en passant par les excès de la Brav-M ou des gendarmes en quad à Sainte-Soline.
Certes fidèle au président de la République, Darmanin est soupçonné d’être capable de retourner sa veste à tout moment.
Personne n’a oublié la brouille homérique qui l’avait opposé à son pourtant «copain» ministre Eric Dupond-Moretti lors des dernières régionales.
Le garde des Sceaux avait jugé «dégueulasse» que Darmanin félicite si chaudement son ex-mentor Xavier Bertrand, dont la liste LR venait de balayer au premier tour celle du fameux pénaliste.
Ils sont nombreux au sein de la majorité à être persuadés que Darmanin avait voté pour la liste du leader de droite au premier tour.
«Il a voté Bertrand, mais si ça relève du registre de l’amitié, moi je trouve ça beau», glissait à l’époque, ironique et amer, son prédécesseur à Beauvau, le macroniste Christophe Castaner.
Ambiance paillarde.
«Darmanin à Matignon, c’est ta préretraite», osent alerter directement quelques rares collaborateurs inquiets du Président.
De fait, Emmanuel Macron effectue son dernier mandat.
Dans son dos, les ambitieux complotent et ses afficionados estiment que si Darmanin monte – encore – en grade, le risque est grand qu’il prenne toute la lumière, squatte les plateaux télés, pousse sa différence sans scrupule.
L’un d’eux : «Ça peut devenir un Pompidou qui s’oppose à de Gaulle».
Ou, avant d’en arriver là, Nicolas Sarkozy qui s’oppose à Jacques Chirac ?
L’ancien chef de l’Etat, dont les bureaux rue de Miromesnil ne sont qu’à quelques centaines de mètres de la Place Beauvau, passe le voir régulièrement.
Et ne manque jamais une occasion de dire à ses visiteurs tout le bien qu’il pense du «sens populaire» de son poulain.
Ce qui ne l’empêche pas, bien au contraire, de dézinguer au passage ceux d’en face, les macronistes de gauche, les ministres Clément Beaune ou Gabriel Attal.
«Des ectoplasmes», estime Sarkozy, à côté de celui qu’il perçoit dans le fond comme sa créature.
Ces derniers temps, l’ex-président a franchi un cap auprès d’Emmanuel Macron, en établissement un classement des Premiers ministres souhaitables.
En numéro 1, la patronne de la Banque centrale européenne Christine Lagarde.
En 2, Darmanin.
En 3, le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, lui aussi transfuge LR et grand ami de «Gérald».
Entre eux, une vraie affaire de potes et un fonctionnement identique.
Une manière de faire de la politique à l’ancienne, hérité de Jacques Chirac, Charles Pasqua ou Philippe Séguin.
La méthode est simple : on ne rate pas un repas d’élus ni une réunion publique le soir.
Il y a les coups de fil aimables, les lettres pour les deuils, les cadeaux pour les naissances.
Et surtout, on décompresse, comme dans l’avion présidentiel, de retour d’un voyage officiel aux Pays-Bas.
Les deux se mettent alors à chanter des chansons militantes. Ambiance virile et paillarde dans l’habitacle.
Catherine Colonna, la ministre des Affaires étrangères, n’en n’est pas revenue.
Diplomatie de l’assiette.
Darmanin ne loupe pas non plus une occasion de dîner en tête à tête avec le secrétaire général de l’Elysée Alexis Kohler.
Au Château ou chez Racines, un restaurant italien du passage des Panoramas au cœur de Paris, également testé avec Xavier Bertrand en février.
Kohler est l’un des rares à avoir un semblant d’influence sur le président de la République.
Ce temps-là tient donc du sacré investissement, aux retombées quelquefois médiatiques.
Comme le 29 juin lorsque le Point estime que Gérald Darmanin serait le mieux placé pour Matignon… selon Kohler.
De nombreux anciens Premiers ministres ont aussi droit à un déjeuner par an, tels François Fillon, Alain Juppé, Manuel Valls, Bernard Cazeneuve.
Etre de gauche n’a rien d’un élément bloquant.
L’hôte a développé un art : la diplomatie de l’assiette.
Il accueille en copain, se passe parfois de maître d’hôtel, peut déboucher et servir lui-même le vin, ne regarde pas son téléphone, raccompagne parfois à la grille de Beauvau.
Qu’il est sym-pa ! s’emballent la quasi-totalité de ses visiteurs.
En septembre 2022, Gaspard Gantzer est invité à prendre l’apéro sur la terrasse jouxtant le bureau du ministre.
«Tu joueras un rôle en 2027», tente l’ancien directeur de la communication de François Hollande. Darmanin, faux modeste : «Edouard [Philippe] a une longueur d’avance, il bénéficie de son statut d’ex-Premier ministre, il est mieux placé que moi dans les sondages.»
Ce printemps, c’est avec le conseiller d’Emmanuel Macron Bruno Roger-Petit qu’il passe deux heures autour d’un poulet rôti à s’interroger sur «comment la gauche a muté pour devenir ce qu’elle est devenue ?»
Parfois, Darmanin emmène chez Table, le deux-étoiles de son ami Bruno Verjus.
L’un des rares à pouvoir dire de lui : «Il serait chauffeur de bus ce serait pareil.
Entre nous, comme disait le poète, c’est parce que c’était lui, parce que c’était moi.»
Avec ses collègues du gouvernement, les choses ne sont pas si simples. Son successeur au Budget, Gabriel Attal, fut longtemps la cible de ses nombreuses critiques, et réciproquement.
Deux ambitieux, c’est toujours un de trop.
Longtemps, ils ont hésité entre se faire la courte échelle ou lancer le match.
Désormais, ils ont tranché.
Lors d’un récent café ultraconfidentiel, Darmanin et Attal ont acté une paix des braves.
«Il traite, Darmanin»
Décidément prompt à jouer l’apaisement , Gérald Darmanin a également gratifié d’un dîner en tête à tête son collègue Bruno Le Maire, ministre de l’Economie.
Est-ce parce qu’on raconte que son collègue de Bercy l’évoque avec mépris, le qualifiant de «bas de plafond» ?
De son côté, «Gérald» n’épargne «Bruno» qui se verrait trop grand, trop beau, ne serait porté que sur l’international, se vanterait d’être en relation directe avec les chefs d’Etat et de gouvernement du monde entier, aurait une vision trop «macro», technique et chiffrée des choses.
Quand Darmanin s’intéresserait, lui, à la vraie vie des vraies gens.